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Marie sera toujours avec nous
Le monde de Paul et Julie s’est effondré, un jour de juillet 2011, lorsqu’une forme rare de cancer fut diagnostiquée chez leur fille Marie, à l’aube de ses 4 ans. Après sept mois d’un combat acharné, mais teinté d’espoir, Marie s’est éteinte le 8 février 2012.
Julie De Keersmaecker, la maman de Marie, se souvient encore précisément des pensées qui l’ont habitée durant ces mois difficiles. « S’il n’y a pas de solution, nous en créerons une. Ça ne peut pas nous arriver. Tout ira bien. Je me répétais ces phrases sans arrêt. Et elles nous donnaient de l’espoir. Après quelque six mois d’hôpital, on nous a annoncé que Marie pourrait retourner à l’école, que nous devions nous y préparer. J’ai rapidement pris rendez-vous avec son institutrice. Je m’imaginais déjà au fond de la classe, les premiers jours, pour l’accompagner, ce genre de choses. »
Alors qu’elle s’apprêtait à entamer sa dernière chimiothérapie, Marie a soudain été prise de terribles maux de tête. « Il est vite apparu que les cellules cancéreuses s’étaient propagées de manière inattendue dans le cerveau. Cinq jours après cette nouvelle dévastatrice, Marie nous quittait. »
« J’aime vraiment vivre aujourd’hui. En cela, je vis pour deux parce que Marie n’a pas eu cette chance, alors qu’elle y avait droit. »Choisir la vie
Ce qui a suivi a été une période extrêmement éprouvante, ponctuée d’innombrables questions. « Je ressentais de la douleur partout et, en toute honnêteté, je voulais mourir. À cause de cette souffrance insoutenable et parce que je voulais être avec Marie. Les doutes me hantaient : aurions-nous dû faire les choses autrement ? Pendant un moment, j’étais simplement en mode survie, à l’image d’un animal blessé qui se terre en lieu sûr pour guérir. Jusqu’au jour où j’ai tranché : “Je choisis la vie”. Face au deuil, j’ai vraiment dû le faire, mais aussi les bons choix pour moi, en mettant l’accent sur ce qui m’aidait réellement, sur ce qui était réellement important. »
Cette volonté de survie a donné à Julie la force de se reconstruire.
« Après avoir appris que le cancer de Marie n’était pas d’origine génétique, nous avons à nouveau eu une fille, deux ans plus tard. À ce moment-là, j’ai réalisé que j’avais vraiment choisi la vie. Même si le fait d'aimer Manou s’apparentait un peu à une trahison envers Marie. Mais les deux ont leur place : le chagrin pour Marie et le choix d’une nouvelle vie. Il n’est pas nécessaire de vivre dans le passé pour entretenir le souvenir. »
Rester attentif à l’autre
En tant que couple, Julie et Paul ont dû apprendre à survivre, avec beaucoup de tolérance et de bienveillance comme repère. « Parfois, nous nous regardions et pensions : “Je sais où tu en es, mais je dois garder moi-même la tête hors de l’eau. Je ne peux pas absorber ton chagrin en plus du mien”. Nous avons survécu chacun à notre manière, tout en respectant l’autre. Avec suffisamment de tolérance et de bienveillance pour nous laisser respirer, mais en restant attentif aux besoins de l’autre. Malgré le poids de son propre chagrin, il est essentiel de veiller sur l’autre. Ce n’est pas simple, mais je suis fière que nous ayons réussi. »
La sensation de vivre entre deux univers a longtemps pesé sur Julie. « Vous n’avez plus votre place dans le “monde d’avant”, mais vous ne pouvez pas non plus être auprès de Marie, car elle n’est plus là. On me demandait parfois si je ne pouvais pas revenir à une vie normale, mais la normalité n’existait plus pour moi, j’étais anéantie. La maladie de Marie m’avait déjà transformée, mais sa perte m’a changée à jamais. »
L’art à la place des mots
Cette transformation a poussé Julie à chercher du réconfort. Chacun le trouve différemment. Pour moi, c’était en allant à la mer ou en me rapprochant de la nature. Au début, je ne trouvais pas de mots pour exprimer mon chagrin. Je ne pouvais pas nommer ce que je ressentais. L’art a donné une autre tournure à ma peine. J’ai pu soudain exprimer l’indescriptible à travers la peinture et l’argile. Projetées sur une toile, les émotions ont trouvé une légitimité. Certains écrivent, font de la musique ou pratiquent un art tandis que d’autres n’en éprouvent pas le besoin. Je ne me serais probablement jamais engagée sur cette voie sans la perte de Marie.
Julie a changé en tant qu’être humain. Elle a commencé à suivre davantage son cœur et à faire des choses qui lui apportaient de l’énergie.
« C’est nécessaire non seulement pour survivre, mais aussi pour vivre. Apprendre à mieux me connaître m’aide dans les moments difficiles. Il faut apprendre à dire non quand la charge est trop lourde. Je sais maintenant que cette résilience est là et je m’accorde plus de moments de repos, des moments rien qu’à moi. Et pour être honnête : j’aime vraiment vivre aujourd’hui. En cela, je vis pour deux parce que Marie n’a pas eu cette chance, alors qu’elle y avait droit. »
Proche de soi
« En raison de ce qui s’est passé, j’ai réappris à être proche de moi. Qui suis-je sans Marie, qu’est-ce que je représente encore, est-ce que je crois encore en la vie ? Autant de questions auxquelles je devais trouver des réponses. Je sentais aussi que la perte continuait à me hanter. J’ai souvent revécu la séparation après avoir dû faire mes adieux à Marie. Par exemple, lorsque la voiture que j’utilisais pour emmener Marie à l’hôpital a fini par nous lâcher. Je ne voulais pas m’en débarrasser, car c’était aussi une petite trace de Marie. Elle s’était si souvent assise sur la banquette arrière. »
« Parfois, m’arrêter un moment, puis repartir à ma façon, à mon rythme. J’ai dû l’apprendre, mais cela me mène loin aujourd’hui. »Trouvez ce dont vous avez besoin
Julie est incroyablement heureuse de parler de Marie, comme d’autres parents parlent de leurs enfants au quotidien. « Nous fêtons toujours l’anniversaire de Marie, même si le mot “fêter” n’est pas approprié. Pour mon mari, c’est un jour difficile. Pour moi, c’est plutôt le jour de sa mort qui est douloureux. Ces jours marquent toujours une quête de ce dont on a besoin. Marie aurait eu 16 ans cette année. Je voulais être avec mon mari, mes filles et ma famille. Nous avons fabriqué un bateau que nous avons mis à l’eau dans le petit ruisseau, au fond de notre jardin, avec la musique de Marie en fond sonore. Paul aurait préféré se glisser dans son lit et laisser passer cette journée rapidement. Chacun a mis Marie à l’honneur à travers une larme, une coupe de champagne, un gâteau... Pour célébrer ce qu’a été sa vie, ce qu’elle a apporté, la manière dont elle nous a changés en tant qu’êtres humains. »
Voir une personne mettre sa vulnérabilité à nu nous déstabilise souvent. Mais lorsqu’un arbre arbore toutes les couleurs possibles en automne, nous le trouvons magnifique. C’est cette réflexion qui a poussé Julie à s’impliquer dans l’accompagnement des personnes en deuil.
« Il n’est pas facile d’aller vers des gens en grande détresse. Mais en créant un climat de confiance, nous trouvons ensemble ce qui peut fonctionner. Lorsque nous donnons plus d’espace à notre chagrin, nous sentons que nous ne sommes pas obligés de nous isoler, que nous pouvons soudain parler avec quelqu’un de ce que nous ressentons. “ Vous pensez que vous marchez à reculons, mais avez-vous regardé en arrière d’où vous venez ?” Ça m’a manqué après la mort de Marie et c’est la raison pour laquelle je veux continuer à le faire. Parce que je sais qu’il y a une issue et que vous allez la trouver. Il faut simplement la chercher soi-même. Et parfois, cela implique de revenir sur ses pas et de prendre une autre direction. Mais c’est vous qui la choisissez. »
Des larmes de tristesse, mais aussi d’amour
Lorsque Marie était à l’hôpital, Julie s’est lancée dans l’écriture et le début de son premier livre. « J’ai commencé à coucher ma douleur sur le papier et tous ces mots sont venus sans filtre », dit-elle. « Entre-temps, des amis ont également créé le fonds We love Marie. Son but était d’organiser une grande fête des fées lorsque Marie serait guérie. Aujourd’hui, grâce à ce fonds, nous offrons des colis de Veilleurs d’étoiles. À ceux qui sont malades, mais aussi aux frères et sœurs et à la famille. Les Veilleurs d’étoiles sont un peuple qui parcourt la Terre à la recherche de larmes. Lorsqu’ils les trouvent, ils s’envolent et restent près d’elles. Et ils apprennent qu’il y a beaucoup de larmes : de peur et de tristesse, mais aussi de joie et d’amour. »
L’objectif du fonds n’est pas uniquement de réconforter les malades, mais aussi toutes les personnes qui se sentent parfois seules. « Les jeunes se sentent souvent seuls. Avec notre récit “Op pad met verdriet”, nous voulons leur faire comprendre les sentiments, leur faire savoir qu’ils ne sont pas seuls. L’identification est le mot-clé dans ce contexte. Parfois, on vous dit : “Quand allez-vous revenir à la normale ?” Mais lorsque vous rencontrez quelqu’un qui a vécu la même chose et qui vous dit que vous êtes normal, vous ne vous sentez plus seul. J’espère ainsi, avec Marie qui sera toujours avec nous, pouvoir donner l’énergie à chacun de trouver la bonne voie. »