Souvent, un objet qui a appartenu à un proche continue de nous rattacher à lui. C’est comme si la personne était toujours là, à nos côtés. Un cahier de recettes écrites à la main, un dessin… Ces objets nous aident à aller de l’avant, parce que la vie continue. Cette rubrique donne la parole à des lecteurs qui témoignent du sens que revêtent de tels objets pour eux.
Un micro fait tomber bien des barrières
Quand Peter envisage de prendre sa retraite à 64 ans, sa famille cherche à lui offrir un beau cadeau de départ. Une rétrospective sur une vie familiale et professionnelle bien remplie. Et un nouvel élan, assorti d’un nouveau rythme et de nouvelles rencontres. Jusqu’à ce que Peter découvre qu’il est atteint d’une maladie incurable, peu de temps avant son dernier jour de travail. Son cadeau, une série de podcasts constitués d’entretiens avec sa famille et ses amis, devient alors un adieu à sa vie. Mais aussi une source de réconfort et de merveilleux souvenirs.
Wout, son fils, et Franki, son beau-fils, ont eu l’idée d’un podcast il y a plusieurs années. « Nous apprécions beaucoup ce média et lorsque nous avons appris que notre (beau-)père n’en avait plus pour longtemps à vivre, nous avons eu très envie d’enregistrer sa voix afin de nous souvenir à jamais de sa manière de voir la vie. »
Wout s’est replongé dans les podcasts le week-end dernier, après une semaine difficile. « J’avais réellement besoin de mon père. Entendre sa voix me donne beaucoup d’énergie. J’y puise aussi de la sagesse. »
Une valeur inestimable
« Notre belle-mère, Katlijn, est très heureuse à l’idée de pouvoir écouter son mari de temps à autre. C’était aussi le but : on peut garder des souvenirs, pourquoi ne pas les enregistrer ? Et pas seulement son histoire, mais aussi celle de sa famille, ses amis et ses collègues proches. Nous avons enregistré 25 épisodes, avec plus de 40 personnes. Certaines étaient seules, tandis que d’autres se partageaient le micro à deux ou trois. »
« Notre (beau-)père n’avait pas 65 ans. Il était encore jeune. Il a heureusement pu tout écouter de son vivant. Nous lui faisions parvenir un épisode chaque semaine. Il les écoutait seul, sans personne. Le podcast nous a beaucoup appris sur lui, notamment ce qu’il représentait pour les autres. Il n’en parlait pas beaucoup à la maison. »
Peter, papa de trois garçons et d’une fille, était médecin généraliste à Wilrijk (Anvers). Il était également médecin palliatif au cours des 20 dernières années.
«Au lieu de partager ses connaissances, il a soudainement dû être soigné. Cette situation n’a pas été évidente pour lui, mais cela nous a permis de parler très ouvertement de la fin de vie au cours de ses deux dernières années.»
« Les gens réalisent toujours des vidéos sur les autres, presque jamais sur eux-mêmes. Le podcast tourne autour de vous uniquement. »Des vies bouleversées
La maladie de leur (beau-)père a poussé Wout et Franki, tous les deux passionnés par leur métier (l’un dans l’enseignement et l’autre dans la vente d’instruments de musique), à faire le point sur leur propre vie.
« Sur son lit de mort, notre père nous a demandé d’aller plus loin, car ces souvenirs sont précieux pour beaucoup de personnes. Nous sommes aujourd’hui de véritables créateurs de podcasts depuis environ un an et demi avec Zeg het maar. C’est fantastique. Les gens font appel à nous parce qu’ils veulent laisser une trace, comme pour donner de la force à leurs enfants plus tard. Qui plus est, nous avons créé avec Zachtmakers une série qui donne la parole aux professionnels. Un orfèvre qui fabrique des bijoux à partir d’objets de famille, des coachs de deuil, des thérapeutes du deuil, etc. Et avec Ons muzikaal hart, nous interviewons des musiciens qui ont perdu un proche et qui ont composé des titres inspirés par leur chagrin. Ces séries sont aujourd’hui disponibles sur les chaînes de podcasts bien connues. »
« Zeg het maar » (Dites-le)
« Beaucoup de gens ne trouvent pas les mots lorsqu’ils se retrouvent face à une personne atteinte d’une maladie incurable. Inviter les gens dans un studio et les installer derrière un micro leur permet curieusement de s’exprimer plus facilement. Beaucoup arrivent en précisant qu’ils ne sont pas très loquaces. Une heure plus tard, ils s’étonnent d’avoir parlé autant. Beaucoup de gens n’arrivent pas à dire à quelqu’un à quel point ils tiennent à lui, mais n’ont aucun mal à exprimer leurs sentiments dans notre studio. Certains invités souhaitent peu parler et préfèrent jouer de la musique, par exemple. L’un des amis de notre (beau-)père a joué un morceau des Beatles, très jazzy, sur un piano à queue. Il préférait le jouer plutôt que le dire. »
« Nous demandons aussi toujours aux gens d’apporter quelque chose qui les lie à la personne concernée : une photo, un objet ou un poème. Cela suscite une émotion forte. L’enregistrement nous donne le sentiment de connaître cette personne. Nous intervenons, en effet, dans un des moments les plus profonds de la vie de quelqu’un. Les gens s’ouvrent dans cette phase de grande vulnérabilité. Il n’est plus question d’un emploi génial, mais de ce pour quoi ils sont reconnaissants, l’amour, leur vie (bonne ou moins bonne), les regrets. C’est aussi parfois un aveu de culpabilité. On présente ses excuses à quelqu’un, c’est très intense. »
« Sans ce podcast, nous aurions eu beaucoup plus de mal à faire notre deuil. Il atténue la douleur, encore aujourd’hui. »Créer des liens
« Plusieurs des anciens amis de notre (beau-)père sont venus se confier à nous. Il a tenu à les contacter après avoir écouté les épisodes. Beaucoup de gens sont redevenus très proches de lui de cette manière. Le podcast a permis de créer des liens qui n’auraient peut-être pas existé autrement. Nous le redécouvrions aussi, par exemple lorsque ses collègues racontaient comment il était au travail : un médecin intègre et fiable, avec beaucoup d’humour. Nous avons entendu toutes sortes de petites anecdotes et obtenu des réponses à des questions telles que “Que voudriez-vous encore dire ?”, “Quel souvenir vous laissera-t-il ?”, “Que représentait-il pour vous et en quoi êtes-vous reconnaissant ?”. Une chose est sûre : sans ce podcast, nous aurions eu beaucoup plus de mal à faire notre deuil. Il atténue la douleur, encore aujourd’hui. »
Il a fait fondre des gens en larmes, mais il a souvent fait beaucoup de bien également. « Plusieurs personnes nous ont remerciés de leur offrir l’opportunité de s’exprimer, car elles n’auraient jamais osé prononcer ces mots en face de notre père. Nous en sommes ravis, mais c’est finalement les gens qui décident eux-mêmes de s’exprimer. Nous nous contentons de poser des questions, de faire le montage et de composer nos propres sons sur la base du témoignage. »
« Si notre père a aimé son cadeau ? Oui, il l’a même adoré. Nous voulions lui proposer quelque chose de pratique et facile d’accès, surtout lorsqu’il serait alité. Un livre demande un effort de lecture, tandis qu’un podcast se laisse écouter, n’importe quand, à votre rythme. Il vous enveloppe d’une douce sensation. Au début, il écoutait toujours les épisodes avec Katlijn. Dans la voiture, pour se rendre dans leur chalet en forêt. C’était leur moment à eux. Ils montaient généralement fort le son parce qu’il n’entendait plus très bien. Ils roulaient pendant une heure et, une fois arrivés, ils restaient parfois dans la voiture et nous envoyaient un petit message. »
À jamais
« Est-ce que nous continuerons à l’écouter ? Au début, Katlijn écoutait souvent l’épisode personnel de notre père. Il s’agit d’un épisode très intime, uniquement dédié à la famille et aux petits-enfants. Ces derniers sont encore très jeunes et ils verront probablement beaucoup de souvenirs s’effacer. Il y parle beaucoup du passé, mais aussi du présent et du futur. Il discute aussi de ses souhaits sur la manière de se traiter les uns les autres. Il nous demandait toujours d’être bienveillants. J’en retire beaucoup. Mais certaines personnes comme mon petit frère sont encore trop jeunes pour l’écouter. Je pense que nous ne nous en lasserons jamais ; nous l’écouterons même avec nos enfants plus tard. Et qui sait, peut-être ferons-nous un jour une suite ? »